La nature changeante de l’humain va de pair avec son besoin de repères. Ce n’est là qu’un paradoxe de plus dans notre monde polarisé.
Alors pour ne pas nous perdre dans toutes les périodes de transformation que nous avons été amenées à traverser – et serons encore amenées à vivre – les anciens ont frénétiquement cartographié les étapes du voyage initiatique. C'est ainsi qu'ils nous transmettent leurs secrets, de génération en génération par le biais des contes, des livres, des films, des jeux vidéos, des symphonies musicales, des fresques rupestres, … Toute tentative narrative susceptible de préparer nos imaginaires à la vie initiatique.
Le voyage des héros
La plus usitée de ces cartes, sinon la plus en vogue, est celle du voyage du héros, dressée par l’auteur Joseph Campbell, spécialiste de la mythologie comparée, dans les années 1950. Tout a été dit ou presque sur cette structure qui sous-tend la quasi totalité des films que nous visionnons encore aujourd’hui.
« L’aventure mythologique du héros suit un itinéraire type qui est une amplification de la formule exprimée dans les rites de passage : séparation – initiation – retour. Un héros s’aventure hors du monde de la vie habituelle et pénètre dans un lieu de merveilles surnaturelles ; il y affronte des forces fabuleuses et remporte une victoire décisive ; le héros revient de cette aventure mystérieuse dotée du pouvoir de dispenser des bienfaits à l’homme, son prochain. » Le héros aux mille et un visage
Réactiver l'ADN
Mon père ne connaissait pas les cartes épiques. C'est ce qui est bien avec les histoires. Leur structure est ancrée dans notre ADN. Mais pour la réactiver, il est utile d'être baigné dans les contes, de la tête aux pieds et le plus tôt possible.
Comme beaucoup d’enfants, mes parents ont divorcé quand j’étais très jeune. Pour moi les ballottements ont débuté à 4 ans. Ma sœur et moi ne voyions notre père que 2 week-ends par mois. Et chaque dimanche soir était un déchirement. Alors pour nous aider à nous séparer, au moment de rentrer chez notre mère – et surtout pour ne pas flancher devant nos larmes, colères et autres cache-caches interminables - mon père avait trouvé une stratégie la meilleure du monde. Il nous promettait une histoire.
Durant le trajet qui séparait nos deux maisons, mon facétieux de père inventait toutes sortes de mondes futuristes et d’aventures forestières dans lesquelles nous étions chaque fois les héroïnes. Au-dehors de la voiture, il pouvait neiger ou pleuvoir, la nuit pouvait tout recouvrir, nous étions tellement absorbées que le voyage devenait un baume. Une parenthèse qui a nourri nos imaginaires de petites filles pendant des années. Si bien qu’adolescentes, nous attendions ce moment avec impatience. Nous lui préparions des thématiques spéciales pour l’occasion. Et notre conteur attitré finissait par prendre des tours et des détours dans la campagne bourguignonne, pour laisser gambader sa créativité plus longtemps.
Le pouvoir des récits
C’est là, je crois, que j’ai découvert le vrai pouvoir des récits.
Car leurs effets sont transformateurs pour celui qui les reçoit comme pour celui qui les crée. Ils entretiennent aussi un lien étroit avec l’itinérance, c’est-à-dire avec nos corps en mouvement, tendus vers une destination.
Mais plus que tout, les histoires peuvent nous aider à quitter un monde pour un autre, à traverser l’entre-deux sereinement, à déjouer les frustrations, à accueillir la nuit et à poser un regard créatif sur ce qui nous est imposé pour en faire un voyage inoubliable.
Bien qu’en grandissant j’ai aussi découvert que le récit remplissait d’autres fonctions sociétales telles que le divertissement des foules, le tapage commercial ou la propagande politique, je suis restée attachée à ce rôle vital qu’il a joué pour moi enfant, celui d’un agent de la transformation.
Devenir l'auteur et l'acteur
J’ai la conviction que s'approprier les éléments qui composent un récit initiatique permet à chacun de redevenir à la fois l’auteur et l’acteur de ses projets.
Il ne s’agit plus seulement de « communiquer sur ». Il est question de descendre en soi pour reconnaître ce que l’on vit avec honnêteté et d’oser partager ses agendas cachés.
Alors seulement il pourra y avoir accord commun sur l’histoire que l’on traverse ensemble.
Définir les défis à relever, les étapes et les moyens à disposition pour les franchir.
Permettre à chacun d’exprimer ses nécessités, ses vulnérabilités et sa quête personnelle dans l’épopée collective. Faire en sorte que chaque contribution puisse être complémentaire à celles des autres et en même temps qu’elle reste singulière. Et finalement redonner du sens à nos projets professionnels, particulièrement lorsque ces projets sont novateurs pour soi, pour son équipe et pour l’environnement autour.
Le retour de l’Initiatique
Il est facile de reconnaître lorsque l'
on est entré dans une épopée. C’est là que nous revient, comme un écho ancien et familier, le goût de l’initiatique. L’amertume de l’épreuve, balancée par la douceur de l’apprentissage. La fierté d’oser explorer des mondes inconnus au-delà de ses limites et de son confort. La saveur de nouvelles connaissances de soi et celle du lien qui s’est tissé, fort, avec ses équipiers.
Lorsque la conscience s’est élargie et que l’on a compris qu’il n’est plus temps de se confronter mais plutôt de traverser. Et que pour cela rien ne sert de se complaire dans ses difficultés ou bien de les nier, mais qu’accueillir ses ombres permet au contraire d’agir avec courage, c’est-à-dire « avec le cœur ».
Et simplement retrouver l'envie d'entrer en initiation, comme on part en voyage.
Au sens "initiare", ouvrir la voie du mystère.
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