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Ce qui forge les rêves

Dernière mise à jour : 26 mai 2021




Les yeux de l’enfance

C’est une chose plus facile à dire qu’à faire, rêver est devenue une activité controversée, tantôt aimée, tantôt décriée. Coincée entre l’enthousiasme que procure la projection de nos désirs et la peur d’être déçu par les contraintes du réel. Car nous avons tous en tête cette petite phrase répétée par nos entourages et qui a peut-être alimenté nos croyances : « Arrêtes de prendre tes rêves pour des réalités ». Pourtant nous ne pourrions faire autrement, rêver nous rend vivants. Il est étonnant de voir à quel point, la notion de Rêve est étroitement liée à celle de l’enfance. « Quel est ton rêve d’enfant ? ». C’est une question qui m’a laissée perplexe longtemps. Pour moi l’enfance n’avait pas l’aspect d’un rêve mais celui d’un quotidien brut, voire brutal.

Passer des livres à la forêt

Jusqu’au jour où j’ai découvert, au festival des Écrans de l’aventure de Dijon, l’histoire de Vincent Munier, le grand photographe animalier. Pour la première fois, j’ai entraperçu ce à quoi pouvait ressembler une vie dont le rêve avait découlé naturellement de l’enfance à l’âge adulte. Sans contrariété aucune.

« Moi j’ai la chance de vivre tous mes rêves de gamin. J’ai une bonne étoile je pense. Des animaux m’ont fait rêver dans les livres, et je n’ai eu qu’une envie, c’est de provoquer cette rencontre. Essayer de vivre à leur rythme, tout près d’eux. D’être à leurs côtés.» Dans le documentaire Vincent Munier, l’éternel émerveillé, nous découvrons comment Vincent s’est rendu curieux de tout ce qui l’entourait. Comment il est passé sans arrêt et sans retenue, des livres à la forêt, de la forêt aux livres. « Que les futurs photographes lisent du Hainard, du Géraudet avant de lire les fiches techniques des derniers Nikon ou Canon quoi. »


Activer les 5 sens

Vincent a non seulement enrichi sa bibliothèque intérieure d’images et de récits naturalistes, mais il a aussi traqué ses rêves en toutes saisons, dans la boue et la pluie, la chaleur et l’humus, dans l’expérience sensorielle qui sculpte les souvenirs comme personne. « Je viens ici depuis que je suis tout gamin. J’avais 12 ans, mon père il me laissait seul sous un sapin, lui, il allait sous un autre à un kilomètre, sur une autre tourbière et quand tu passes tes premières nuits, gamin, tu as des souvenirs mémorables. Et c’est génial parce que chaque année, il y a tout qui ressurgit. Les odeurs, les ambiances sonores, les petites brumes sur les tourbières le matin, la petite gelée blanche. »


En nous partageant la construction de son rêve, Munier nous apprend une chose étonnante: l’imagination seule ne suffit pas, il faut aussi la tremper dans le feu de l’exploration sensorielle. Nourrir l’esprit et les sens. Le volatil et le palpable. C’est dans cette alliance amoureuse que semble se forger son regard d’éternel émerveillé, qui caractérise les enfants passionnés. « A aucun moment j’imaginais qu’un jour cette passion devienne mon métier, vraiment pas. L’art est partout dans la nature, alors après t’essaye de mettre en images tes rêves en quelques sortes.»


La qualité des œuvres rêvées

Trente ans plus tard, Munier traque la panthère des neiges avec son ami écrivain-voyageur, Sylvain Tesson. Ensemble ils arpentent les plateaux du haut Tibet et dorment dans les grottes humides, en quête du félin légendaire. Ces deux gamins aux bottes crottées, ces hommes à la résistance physique exceptionnelle, ont taillé à la hache toutes les entraves empêchant leurs rêves de s’imprimer dans nos réalités. Ils se sont dépouillés. Pour nous délivrer une création puissante et intransigeante. Un livre comme un dernier hommage au Sauvage :« Il y a hors de moi quelque chose qui n’est pas moi et qui n’est pas l’homme et qui est plus précieux, et qui est un trésor hors l’humain. »Ainsi les œuvres qui découlent naturellement de la source d’enfance.


L’archéologie onirique


Le problème avec les documentaires c’est qu’ils ne sont pas familiers de nos quotidiens. Peu d’entre nous ont la chance d’expérimenter une vie aussi limpide que celle de Vincent Munier.

Il m’a fallu bien y réfléchir, pour retrouver les bribes de mes rêveries. Ces merveilles de l’enfance étaient ensevelies depuis des années sous les peines de l’existence. J’ai donc entamé une fouille archéologique méticuleuse. En grandissant je me suis procurée les outils nécessaires à la restauration de ces pièces uniques pour reconstituer mon rêve d’enfant. Une brosse pour dépoussiérer les strates de peurs et de colères qui m’avaient figée dans le passé, une pioche pour concasser les croyances stériles, une loupe pour grossir les souvenirs joyeux et une pelle pour exhumer les utopies ruinées, celles qui me faisaient bondir du lit le matin et m’empêchaient de me coucher le soir. Car le rêve dont il est question ici n’est pas celui de la nuit. Il aspire à voir le jour. Alors hors de question d’abandonner un tel vestige dans un musée. Je l’ai emmené prendre le soleil pour réchauffer ses vieux os. Car même si l’on n’en a que des morceaux épars, il est toujours possible de régénérer un rêve, de là où on nous sommes.


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